Homo sapiens en quête de ressources, avant l’agriculture, dans un paysage ancestral

Une tradition ancienne et vivante

Histoire et cultures

La cueillette sauvage remonte à la nuit des temps. Bien avant l’invention de l’agriculture, les Homo sapiens pratiquaient la chasse et la cueillette pour survivre. Ce mode de subsistance a perduré pendant des dizaines de milliers d’années et a façonné les comportements alimentaires, les savoir-faire botaniques et les liens avec les écosystèmes.

Des recherches archéologiques montrent que les sociétés humaines ont fondé leur subsistance sur la chasse et la cueillette pendant des millénaires – jusqu’à environ 12 000 ans avant notre ère, moment où l’agriculture a commencé à émerger dans certaines régions comme le Croissant fertile.

Source : Université de Cambridge, From foraging to farming: the 10,000-year revolution

Essor moderne

Depuis quelques années, on assiste à un renouveau de la cueillette sauvage, porté par des mouvements comme le zéro déchet, la permaculture ou la naturopathie. En quête d’authenticité et de lien avec la nature, de plus en plus de citoyens ramassent des pissenlits pour leurs salades, des mûres pour leurs confitures, ou des plantes pour leurs infusions.

Ce phénomène a fait l’objet d’une étude approfondie par Léa Goujou dans le cadre de son mémoire de Master en sciences sociales soutenu en 2022 à l’Université Toulouse Jean Jaurès. L’auteure y analyse les profils, les motivations et les représentations des personnes pratiquant la cueillette de plantes sauvages et de champignons en France.

Selon les données du Ministère de la Transition écologique (2020), reprises en annexe A de son mémoire, 44,7 % des Français déclarent avoir déjà pratiqué la cueillette, toutes fréquences confondues. Cette pratique, solidement enracinée dans les territoires ruraux et agricoles, traduit également un besoin croissant de renouer avec la nature.

Source : Léa Goujou, Étude de la relation humain-nature à travers la cueillette de plantes sauvages, en France.

Est-ce meilleur pour la santé ?

Qualité nutritionnelle

Les plantes sauvages sont souvent plus riches en nutriments que leurs homologues cultivées. Moins modifiées par la sélection humaine, elles conservent des concentrations plus élevées en antioxydants, vitamines, minéraux ou fibres.

Le pissenlit, les orties, les jeunes pousses de plantain ou de bourrache sont de véritables trésors nutritionnels.

Salade de pissenlit, œuf et pignons, riche en nutriments et cueillie fraîche
Zone humide polluée par des déchets plastiques au bord d’une forêt

Risques sanitaires

Mais attention : naturel ne veut pas dire sans danger. La cueillette sauvage présente plusieurs risques :

Pollution du sol ou de l’air

Près des routes, des champs traités ou des zones industrielles, les plantes peuvent contenir des métaux lourds, des pesticides ou des particules fines.

Une étude menée à Leicester, dans le comté de Leicestershire (Royaume-Uni), a mis en évidence des concentrations élevées de plomb dans plusieurs espèces de champignons sauvages récoltés en milieu urbain, notamment Agaricus bitorquis.

Source : Biomonitoring lead contamination in urban and rural soils across Leicestershire (UK)

Présence de parasites zoonotiques (p. ex. toxoplasmose, listériose, échinococcose)

Des agents pathogènes tels que Echinococcus multilocularis (ténia du renard) peuvent contaminer des plantes et fruits sauvages.

En France, l’Anses indique que la contamination humaine survient principalement par ingestion accidentelle d’œufs présents sur des végétaux cueillis ou manipulés, avec environ 40 nouveaux cas d’échinococcose alvéolaire diagnostiqués chaque année.

Une étude sur fruits et légumes non lavés confirme aussi que ces œufs peuvent adhérer aux végétaux, posant un risque sanitaire réel .

Source : Comment le ver responsable de l’échinococcose alvéolaire a traversé l’Europe | Anses – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

Jeune renard roux dans une prairie, porteur potentiel de parasites comme l’échinocoque
Amanite phalloïde toxique, facilement confondue avec des champignons comestibles

Erreur d’identification 

Certaines plantes ou champignons toxiques ressemblent à des variétés comestibles. Une confusion peut entraîner des troubles digestifs, voire une intoxication grave comme par exemple l’Amanite Phalloïde que vous pouvez observer sur la photo et qui peut se confondre avec les Lépiotes.

En France, plus de 1400 cas d’intoxications aux champignons ont été recensées en 2023, selon l’ANSES.

Source : Saison des champignons : attention aux risques d’intoxications | Anses – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

Crédit photo : Archenzo, CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/, via Wikimedia Commons

Attention

Toujours se former ou être accompagné.e avant de consommer une plante cueillie dans la nature.

Cueillette et environnement : respect ou dérive ?

Impact écologique

Pratiquée avec modération et connaissance, la cueillette sauvage a une empreinte carbone quasi nulle. Elle encourage l’observation de la nature et valorise les écosystèmes. Cependant, la popularité de certaines plantes peut engendrer une surexploitation : arrachage excessif, disparition de certaines espèces locales, perturbation de la faune.

Réglementation

La cueillette est soumise à des règles variables selon les pays, les régions ou les zones naturelles. Voici quelques exemples :

Chemin rural bordé d’arbres surplombant une ville, champs en premier plan

En France

Les champignons sauvages appartiennent de plein droit au propriétaire du sol et leur cueillette sans autorisation constitue un vol puni d’amendes (jusqu’à 750 € pour moins de 10 L, 45 000 € et 3 ans d’emprisonnement au-delà, voire 75 000 € et 5 ans en cas d’aggravation)

Source : CNPF – Cueillette des champignons : que dit la Loi ?

Forêt canadienne en automne, avec lac et feuillage aux couleurs vives

Canada

En Ontario et au Québec, certaines zones interdisent toute cueillette (parcs nationaux, terrains privés). Les municipalités peuvent avoir des règlements particuliers, et cueillir sur des terres privées sans autorisation constitue une infraction.

Sources :

Paysage suisse alpin au printemps, entre pâturages, forêt et lac

Suisse

La directive Bio Suisse du 1er janvier 2024 encadre la cueillette des plantes sauvages comme activité agricole complémentaire en définissant ses modalités de déclaration et d’étiquetage, les obligations de documentation de la zone et du processus de récolte — par exemple, en limitant à un tiers la quantité prélevée sur chaque plante — ainsi que les contrôles à fournir, le tout sans période de reconversion, afin de garantir la traçabilité, la durabilité écologique et le respect des normes biologiques.

Source : International Certification Bio Suisse – Directive pour la cueillette de plantes sauvages (PDF).

Mont Fuji et forêt japonaise protégée, avec torii sur le lac, symbole de nature sacrée

Japon

Le document de l’Agence japonaise de l’environnement précise que pour toute espèce sauvage classée menacée au niveau national ou international, toute transaction (vente, don, prêt, exposition ou publicité) est interdite de principe, sauf autorisation ou enregistrement spécifique, afin d’assurer la traçabilité et de prévenir le commerce illégal pour préserver la biodiversité.

Source : Ministère de l’environnement – Act on Conservation of Endangered Species of Wild Fauna and Flora.

Se renseigner localement est essentiel.

Une bonne pratique consiste à demander l’avis des autorités locales (mairie, parc, garde forestier) avant toute récolte. Le non-respect de ces règles peut entraîner des sanctions, et surtout nuire à la biodiversité locale.

Comparaison : nature, producteur local ou supermarché ?

Critère
Cueillette
Producteur local
Supermarché
Goût
Intense, parfois imprévisible
Très bon, variétés sélectionnées
Standardisé
Qualité nutritionnelle
Excellente (si zone saine)
Bonne à excellente (bio, local)
Moyenne
Sécurité sanitaire
Variable, non contrôlée
Contrôlée, traçabilité
Haute (sauf résidus)
Impact écologique
Très faible (si raisonnée)
Faible (circuits courts)
Élevé (transport, emballage, etc.)
Légalité et accès
Réglementé, parfois interdit
Légal, facile d’accès
Libre accès
Tableau comparatif entre cueillette, production locale et supermarché

Quelques bonnes pratiques

  • Se former (livres, stages, applications de reconnaissance, guides locaux)
  • Ne pas cueillir à proximité des routes, champs cultivés, zones urbaines ou industrielles
  • Respecter les saisons, les espèces, et la biodiversité
  • Ne prélever qu’une petite partie de la plante ou du site (laisser pour les animaux, la régénération…)
  • Toujours laver soigneusement les plantes ou fruits ramassés
  • Ne jamais consommer ce qu’on n’a pas identifié avec certitude
  • Se renseigner sur les règles locales (forêts domaniales, parcs, propriétés privées…)
Deux personnes identifient une plante en pleine nature, dans un cadre de cueillette responsable

Conclusion : liberté, connaissance et respect

La cueillette sauvage est à la fois un geste ancestral et une pratique moderne porteuse de sens. Elle permet de renouer avec des savoir-faire oubliés, de découvrir la nature de façon immersive, et de consommer de manière plus autonome. Mais elle n’est pas sans limites ni dangers.

Pollution, erreurs d’identification, réglementations strictes, risques sanitaires liés aux animaux sauvages : cette tradition verte ne peut être pratiquée à la légère. C’est pourquoi elle doit toujours s’accompagner d’une démarche responsable, informée et respectueuse des écosystèmes.

Pratiquée avec discernement, elle peut compléter une consommation locale et durable. Ignorée ou idéalisée, elle peut devenir une menace pour la santé et pour la biodiversité. En fin de compte, c’est à chacun d’évaluer les bénéfices et les risques, en s’appuyant sur des connaissances solides et un profond respect pour la nature.